Auteur invité*: Romain Lanners, Directeur de l’agence spécialisée Centre suisse de pédagogie spécialisée
Romain Lanners revient sur le financement des interventions précoces intensives (IPI) au bénéfice des jeunes enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA).
La Confédération et les cantons souhaitent financer ensemble les interventions précoces intensives parce que leur efficacité est scientifiquement reconnue et qu’aucune autre méthode ne produit de meilleurs résultats. Depuis 2014, les deux, cantons et Confédération, ont collaboré dans divers groupes de travail et projets pilote pour faire le point sur les connaissances actuelles et pour développer un modèle de cofinancement. Il a été convenu que la contribution de chaque partenaire soit négociée entre Confédération et cantons. Tout allait bien jusqu’au moment de la mise en consultation de la modification de la loi fédérale sur l’assurance invalidité. Les cantons se sont retrouvés mis devant le fait accompli.
Les IPI TSA représentent un ensemble d’interventions précoces intensives (IPI) auprès de très jeunes enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Selon la classification internationale des maladies (CIM-11), les TSA sont des troubles neurodéveloppementaux précoces et sévères qui touchent la capacité à initier et à maintenir une interaction sociale réciproque et une communication sociale, combinée à une présence d’intérêts ou d’activités restreintes et stéréotypées, qui sont atypiques ou excessives pour l’âge et le contexte socioculturel de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Leur origine est neurobiologique. La prévalence des TSA, qui apparaissent pendant la petite enfance, se situe autour de 0.3 % de la population (Gundelfinger, 2013). Ainsi en 2023 sur les 80 000 naissances (OFS, 2024) environ 240 nouveau-nés seraient porteurs d’un TSA précoce.
Les recherches scientifiques actuelles convergent vers une efficacité des IPI en termes d’effets positifs sur les fonctions essentielles affectées par le TSA (Liesen et al., 2018). Pour déployer leur efficacité, les interventions doivent être précoces, c’est-à-dire débuter si possible avant l’âge de deux ans (mais pas plus tard que 5 ans). Un diagnostic posé tôt est important pour un démarrage rapide des IPI. Pendant la petite enfance, la plasticité du cerveau est encore élevée et permet d’influencer les processus neurologiques du traitement de l’information (Schaer & Kojovic, 2019). Les IPI doivent être intensives, à savoir 15 heures d’interventions hebdomadaires directes auprès de l’enfant pendant si possible deux ans et impliquer les milieux de vie de l’enfant. Il est à noter que les IPI se composent d’un mélange indissociable d’interventions de type médical et de type pédagogique.
Grâce aux IPI, les chances développementales des enfants sont en moyenne nettement améliorées, comme suivre une scolarité ordinaire, accéder à une formation secondaire voir tertiaire, trouver un emploi dans le premier marché du travail et participer activement à la société. Les IPI n’apportent pas seulement une amélioration de la qualité de vie de l’enfant concerné mais également de son entourage et particulièrement de ses parents (Liesen et al., 2018). Tout le monde est gagnant, du coup aussi bien les cantons que la Confédération.
Les premières offres IPI TSA ont vu le jour début des années 2000 sous forme de centres d’autisme souvent rattachés à des hôpitaux universitaires. Ces centres sont soutenus par l’OFAS depuis 2014 à l’aide d’un forfait de 45 000.- par enfant pour un suivi intensif sur 2 ans.
Dès le premier projet pilote en 2014, la Confédération et les cantons ont vu l’utilité des IPI et se sont engagés à collaborer étroitement à travers des groupes de travail et des projets pilote pour améliorer l’accompagnement des jeunes enfants concernés et de leurs familles. Dans ce but les trois conférences intercantonales des directrices et directeurs des affaires sociales (CDAS), de l’instruction publique (CDIP) et de la santé (CDS) ont négocié fin 2019 avec la Confédération représentée par l’OFAS une démarche commune échelonnée en quatre phases de travaux communs. Les trois premières phases étaient soldées par un rapport validé successivement par les trois conférences intercantonales:
Les objectifs des trois premières phases étaient de consolider les connaissances sur les IPI, d’analyser les coûts effectifs et d’élaborer un modèle de financement commun viable. Le modèle de financement retenu est une convention entre l’OFAS et les cantons pour pérenniser le cofinancement des offres IPI dans les cantons. Les coûts moyens sont estimés à 150 000.- par enfant suivi sur 2 ans.
Un des fruits de cette collaboration est la multiplication des offres IPI dans les cantons. En 2014, il y a dix ans, cinq cantons avait un centre d’autisme (BL, BS, GE, TI et ZH, Liesen et al., 2018, p. 26), actuellement 14 cantons disposent d’au moins une offre IPI. Les offres dans 11 de ces cantons sont reconnues par l’OFAS.
La quatrième phase qui prévoyait la négociation de la répartition des coûts entre la Confédération et les cantons, n’a jamais vraiment démarré. Une raison était que la loi fédérale sur l’assurance invalidité (LAI) devrait être modifiée pour introduire des conventions, un instrument que la loi ne connaissait pas. Négocier sans connaître les dispositions légales n’étant pas efficient, les cantons attendaient la proposition de la modification de la LAI et l’ouverture des négociations sur les contributions des différents partenaires. Lors que le Conseil fédéral a ouvert la consultation le 22 septembre 2023, les cantons sont tombés des nues en découvrant dans l’article 13a (al. 2) de la proposition de loi l’introduction d’un plafond maximal de 25 % pour la contribution de la Confédération; un plafond qui n’a été sujet d’aucune négociation. Les cantons s’attendaient à une fixation du montant au niveau de l’ordonnance.
Les trois conférences intercantonales ont rejeté en automne 2023 dans une prise de position commune le projet de loi et ont demandé que les contributions doivent rester à l’ordre du jour des négociations futures entre Confédération et cantons conformément aux accords conclus.
Avec la publication du rapport sur les résultats de la consultation, de la transmission de la modification de la LAI et du message y relatif au parlement, le Conseil fédéral a fermé en sa séance du 21 août 2024 encore un peu plus la porte aux négociations et à la collaboration avec les cantons. Le plafond des coûts à la charge de la Confédération n’a pas été supprimé de la modification de la loi, malgré le fait que 20 cantons et les trois conférences intercantonales (CDAS, CDIP, CDS) l’aient explicitement demandé lors de la consultation. Il est souhaité à la place que la contribution soit négociée entre la Confédération et les cantons comme convenue et qu’elle soit réglementée au niveau de l’ordonnance (rapport sur les résultats de la consultation, p.8).
La balle est maintenant dans le camp des chambres fédérales qui peuvent encore corriger le tir dans le sens souhaité par les cantons ou consolider la proposition du Conseil fédéral.
Ce dossier montre la complexité d’une collaboration entre deux niveaux étatiques possédant des logiques de gouvernance presque opposées, l’un top-down et l’autre bottom-up. Tout allait bien jusqu’au moment de l’élaboration de la modification de la loi où la logique de l’administration fédérale a pris le dessus sur les us et coutumes de la collaboration intercantonale.
*Les opinions exprimées par les auteurs invités ne reflètent pas nécessairement la position de la CDIP.
Les images illustrant cet article ont été générées par une IA.